Les tenders unifiés et le 34P numéro 312

Rapatriement de Guîtres (10-2008)

Au cours des récentes Journées du Patrimoine un visiteur s’est étonné que la 241 P 9 se retrouve avec un tender qui porte le numéro 312 !

Ce tender est du type unifié, c’est-à-dire compatible avec toutes les locomotives à vapeur modernes de la SNCF comme les 141 P, 150 P, 241 P et bien d’autres, dans un but de rationalisation.

La toute jeune SNCF (née en 1938) a cherché les ingrédients pour limiter les coûts d’exploitation en prenant référence sur les solutions qui fonctionnaient bien. Elle a choisi les performances confirmées par l’exemple de la compagnie du Nord qui avait conçu dès 1929 sous l’égide de Marc De CASO [1] un tender très efficient de 37 m3 d’eau pour 10 tonnes de charbon de la série 35.101 à 35.250 [i] pour les fameuses Pacific et super Pacific 3.1200 (photo 1). Ce type a été décliné pour les Pacific Chapelon 3.1100 Nord ainsi que pour les 3700 et certaines 4700 PO ; il a servi de base à un prototype pour la compagnie de l’Est : le 36.001.

[1] 1893-1985 Natif de Montpellier (Occitanie)
[i] Devenus 37 A à la SNCF

Photo 1 – tender Nord 37 m3 – collection BV

Plus de robustesse, plus de capacité donc plus d’autonomie en service, et donc moins de passages au dépôt pour faire le plein, toutefois des compléments d’eau étaient nécessaires en gare sur certains longs trajets (photo 2).

Photo 2 – Prise d’eau en gare – photo P. Bernier SNCF 1961 – collection B.V.

Le choix des contenances se fait en fonction des consommations : les chaudières évaporent en service normal entre 7 et 9 kg d’eau par kilogramme de charbon de bonne qualité. Comme il est plus facile de recharger de l’eau aux arrêts en gare que du charbon, on préfère privilégier la réserve de charbon pour plus d’autonomie. Les 241 P avec 10 tonnes de charbon dans le tender avaient un potentiel kilométrique d’environ 600 Km sans passer au dépôt pour rechargement, ce qui a permis d’organiser des roulements intenses par exemple sur Lyon Marseille en banalité sur 4 jours : 4 voyages A/R soit 2821 Km, alors que mécaniciens et chauffeurs mettaient 7 jours à faire le même parcours [1].

Ainsi est né le tender 34 P contenant 34 m3 d’eau et 10 tonnes de charbon et 2 tonnes de briquettes. 418 exemplaires ont été construits entre 1942 et 1953. (Figure 3, photo 4 et 5).

[1] A la construction de l’artère impériale, certains tenders à 2 essieux avaient une capacité de 1 tonne de charbon (ou de coke) soit une autonomie de 150 Km ; c’est ainsi qu’un dépôt relais à été installé à mi chemin entre Paris et Dijon, près de Migennes, scellant la destinée cheminote de la ville de Laroche-Migennes.

Figure 3 – Face avant, élévation et face arrière – Document Loco Revue – collection A.T.

Photo 4 – Vue arrière         Photo 5 – Vue avant – cliché SNCF, collection O.P.

Plusieurs constructeurs se sont partagé les commandes : 100 unités chez Beaume et Marpent, 100 à la Compagnie Générale de Construction de Saint Denis, 33 à la Compagnie Française de Matériel de chemin de fer, 20 chez Decauville. SOMUA à Vénissieux en a construit 115 et les Entreprises Industrielles Charentaises (actuellement GEC-ALTOM à Aytré près de La Rochelle) 50. Le P 312 a été monté à Vénissieux par la SNAV (l’usine SOMUA, Société d’Outillage Mécanique et d’Usinage d’Artillerie, deviendra la SNAV Société Nouvelle des Ateliers de Vénissieux, filiale de la Régie Renault) sans doute en sous traitance en 1950 (photo 6).

Photo 6 – Plaque du constructeur SNAV

La nouveauté consistait en un équipement de stocker, une sorte d’alimentation automatique de charbon par vis sans fin visible sur la photo 5, animée par un petit moteur à vapeur bicylindre, qui soulage bien le travail du chauffeur et permet de longues étapes : pour sortir 4000 cv à 120 km/h et tracter un train de 700 tonnes, il en faut du charbon ! Lyon Marseille en 4h30 !

La clef de la réussite de ce véhicule ne se voit guère : en fait la caisse à eau est autoporteuse, construite autour de deux diaphragmes longitudinaux en forte tôle de 10 mm façon poutre Warren qui permet de réduire les dimensions et poids du châssis lui-même, les longerons absorbant l’effort de traction (figure 7). Bilan : poids à vide de 38,8 T pour une charge utile de 46 T dont 12 T de charbon !

Figure 7 – Schéma structure in Maurice Vilain – collection B.V.

Les boggies ont été aussi retravaillés pour obtenir gain de poids et dimensions réduites notamment grâce à la conception de la suspension « Cantilever » (Figure 8).

Figure 8 – Boggie : la machine locomotive Sauvage – Chapelon 10ème édition – collection B.V.

La conception des attelages mérite attention : Le raccord Tender-Machine est élastique (figure 9) ce qui permet, en augmentant l’inertie de l’ensemble, de réduire les mouvements en lacet et d’améliorer le tenue de route de la locomotive à grande vitesse. A l’arrière, la traverse de tamponnement (figure 10) est équipé de tampons RINGFEDER à ressorts-bagues dont la particularité est d’absorber l’effort de la rame attelée durant le freinage, et de n’en restituer que 1/3 lors de leur détente.

Figure 9 : Attelage unifié locomotive tender.     Figure10 : attelage arrière – opus cité

Sur cette base ont été déclinés les tenders unifiés 36 P, 36 Q, 38 P[1] et aussi 36 B 1 à 9 des 232 R, S et U chères à Marc de CASO [2] [3].

Autre particularité, ils étaient équipés du Traitement Intégral ARMAND (TIA) du nom de son inventeur [4], destiné à éliminer le tartre et limiter la corrosion des chaudières en acier. Les réservoirs étaient implantés sur le dessus de la caisse à eau (photo 11) et dosaient les adjuvants au fur et à mesure que l’on « faisait de l’eau » (cf photo 2).

[1] A ne pas confondre avec les tenders à pousseur de charbon et écope 32 P 1 à 9 étudiés par l’OCEM pour les 231 D à H et attelés provisoirement en 1948 aux 150 P 32 à 39 sans stocker.
[2] Et aussi pour les locomotives série 1 (Pacific) et série 5 (Mikado) de la SNCB.
[3] Ces 8 machines étaient prévues avec des tenders de grande capacité 40 m3 à 2 boggies de 3 essieux, projet abandonné car incompatible avec les ponts tournants de 24 m et le pont transbordeur du dépôt de La Chapelle.
[4] Louis Armand 1905-1971 Polytechnicien, Résistant, Membre de l’Académie.

 

Photo 11 – Tender équipé de 2 réservoirs TIA

Plusieurs tenders ont été attelés à la P 9 selon les disponibilités et les révisions successives [1].

Ainsi en 1956, quand elle a fait de la figuration à Marseille Blancarde, dans le film LA ROUE [i], elle apparait avec le P 107 (Photo 12). Ce film a été tourné avec Jean Servais dans le rôle du mécanicien et Pierre Mondy dans celui du chauffeur.

[1] Olivier Constant cite, dans un article de VOIES FERRES de Novembre 1994, que le P 325 mis en service en mars 1952 a été attelé successivement à : 241 P 32, 150 P 42, 85, 109, 111, 95, 141 P 128, 150 P 35, 13, 141 P 216, 241 P 32 et finalement à la 241 P 17.
[i] Réalisé par O.P.GILBERT d’après Abel GANCE (1923).

 

Photo 12 – Le tender P 107 avec la P 9 extrait du film « La Roue »

La P 9 a été photographiée en aout 1967 avec le 34 P 284 à Nantes par Marc Dahlström (photo 13), puis aperçue loin de son affectation habituelle avec le 34 P 347 le 10 aout 1968 à Clermont-Ferrand (photo 14) :

Photo 13 – cliché M Dahlström – collection B.V.        Photo 14 – Clermont-Ferrand – collection B.V.

C’est durant sa dernière affectation au dépôt du Mans que la P 9 a été « mariée » au 34 P 312 que nous connaissons. A leur fin de service en 1969, puis leur dernier train HLP pour Guîtres en septembre 1974, c’est un long sommeil qui attend le couple jusqu’à l’hiver 2008-2009 quand notre association l’a réveillé pour l’acheminer jusqu’à Toulouse par le rail.

Train COPEF 17 juin 1973 en gare du Mans. Extrait du film de Bernard le ferrovipathe.

Depuis, comme la P 9, ce tender a subi une cure de jouvence : tout y est passé : boggies, essieux et freins bien sûr, intérieur de la caisse à eau, hotte à charbon, modernisation du freinage, révision du moteur du stocker, tableau électrique et câblage, caisses à outils ; il ne manque plus que la peinture extérieure de la caisse à eau en vert et la traverse rouge (Photo 15).

Photo 15 – Tender rénové dont la caisse à eau est recouverte de sa peinture d’apprêt grise – cliché A.T.

Ce sont les élèves du lycée professionnel de Decazeville qui ont reconstruit les deux battants des trappes à eau (Photo 16) :

Photo 16 – Trappes reconstruites et réservoir TIA au centre.

Comme les grues hydrauliques ont disparu des quais de gare (photo 2), nous avons équipé discrètement le tender de raccords « pompier » pour faire le plein à l’étape (photo 17) :

Photo 17 – Raccord pompier

L’essai d’étanchéité a eu lieu durant précisément le premier confinement de la COVID 19 en mars et avril 2020 bilan : pas une goutte n’a percolé ! (Photo 18) :

Photo 18 – Essai d’étanchéité on aperçoit les membrures internes de la caisse à eau.

Plus récemment les freins ont étés entièrement révisés puis testés après pose des sabots neufs de fonderie, usinés et ajustés par les compagnons de l’association (4 sabots par roue) photo 19 :

Photo 19 – Paire de sabots de freins de chaque coté d’une roue.

 

Les tenders 34 P unifiés préservés

Plusieurs 34 P ont échappé au chalumeau :

celui-ci le 312,
le 34 P 325 qui est opérationnel auprès de la P 17 [i],
le 34 P 272 qui est préservé à Longueville près de la P 30 [ii],
le 34 P 308 attelé à la P 16,
le 34 P 405 auprès de la 150 P 13, ces deux derniers à Mulhouse.

N’oublions pas les ancêtres hérités de la compagnie du Nord :

Le 35.125 fidèle à la 3.1280 qui se trouve en restauration à Oignies [iii] ; le 38.040 attelé à la célèbre Pacific Chapelon 3.1192[iv] en livrée chocolat à la Cité du train, le 38 A 16 avec la 231 E 41 en restauration à Saint Pierre des Corps [v].

Et les 38 A 1, 66 et 58 attelés respectivement aux Pacific 231 K 8[vi], 22[vii] et 82[viii] ex PLM : ces trois  ont tracté la célèbre FLECHE d’OR pour certains jusqu’à la fin de la vapeur en 1969 sur Paris NORD.

Enfin le 36 B 6 présenté avec la 232 U 1 à Mulhouse.

[i] Site train-vapeur.fr
[ii] AJECTA
[iii] CMCF
[iv] Les 4 voir le site de la Cité du train
[v] Voir le site de l’AAATV SPDC
[vi] Propriété de la FACS
[vii] Exposés au parc ferroviaire d’Augsbourg en Allemagne
[viii] Confiés au CTFLP à Limoges.

 

Les 34 P en modèles réduits

On ne dénombre plus les modèles de 34 P à l’échelle HO depuis une cinquantaine d’années, notamment les productions JOUEF qui dès 1971 proposaient un modèle au 1/87ème contenant habilement le petit moteur électrique de manière à simplifier la conception des machines unifiées de sa gamme qui débutait alors par une … 241 P ! (dessin 20).

Dessin 20 – Extrait catalogue Jouef 1971 – collection B.V.

En Zéro, outre de rares modèles artisanaux tels Fournereau ou Km 108, c’est la grande production de JEP en métal injecté qui a dominé le marché des années 50, le 34 P 1 attelé derrière la célèbre 141 P de la marque, bien que trichant un peu sur l’échelle de reproduction (photo 21 à gauche).

Photo 21 – collection B.V.

C’est FULGUREX qui a fait les meilleures productions au 1/43ème « fine scale » à droite de la photo 21.

Un ami collectionneur a réuni (c’est plus facile que dans la réalité !), de gauche à droite : un 35 Nord caractéristique avec sa trémie à charbon ovale monté par un amateur, un 37A ex Nord Fournereau et un 34 P artisanal (photo 22).

Photo 22 – Trois tenders échelle O – collection B.V.

Plus près de nous, à Toulouse un modéliste chevronné s’est lancé dans le projet d’une 241 P 9 et son tender P 312 à l’échelle du vingtième, chauffe au charbon. Locomotive et tender (Photos 23 et 24) sont achevés et ont été plusieurs fois mis en chauffe ; voir à ce sujet le reportage d’Aiguillage sur Youtube.

Photos 23 et 24 : Tender au 1/20ème tout métal avant et après mise en peinture – collection P.L.